GWADLOUP PEYI AN NOU

Publié le par Bordeaux Avance

 

 

Drôle d’ambiance … je connais parfaitement cette île et pourtant ce soir elle a un air étrange  – comme une amie que l’on reconnaît à peine – malgré le mélange d’odeurs familières, telles les effluves de poulets boucanés le long des routes des Grands Fonds qu’emprunte notre chauffeur afin d’éviter les barrages routiers jusqu’à la maison que nous louons au Moule. Déjà, à l’aéroport, quasi personne : en trois minutes, le contrôle qui prend des plombes en temps normal est effectué.

Nous prenons rapidement nos marques dans notre magnifique maison au raz de la mer, un petit en-cas et une première nuit réparatrice du décalage horaire ! Décalage, le maître-mot !

Premier matin : comme un sentiment fugacement paranoïaque m’oppresse alors que nous décidons de parcourir à pieds les deux petits kilomètres nous séparant du village pour y trouver des fruits frais et…des sandales (un de nos sacs plus malin que nous n’a pas pris l’avion !)

Nous saluons avec une courtoisie accentuée la moindre âme qui vive croisée sur le chemin. Notre différence me saute aujourd’hui aux yeux avec une acuité particulière, peut-être sommes-nous déplacés dans le contexte.

Tout se passe avec facilité, sourires, et nous trouvons jusqu’à des yaourts – réputés introuvables – dans une petite superette. 

En fin d’après-midi, nous prenons la voiture et nous dirigeons vers la Pointe des châteaux et son calvaire que nous entreprenons de gravir… non, il ne s’agit pas d’une crise de foi mais de prendre de la hauteur sur la situation puisque d’ici on domine l’île entière. Dommage, la brume obscurcit la vision !

Au retour, à Saint-François, un petit miracle… le marché des producteurs locaux, une profusion à peine imaginable de fruits, légumes, accras, boudin et autres gratins de christophines… «  dites-leur en métropole que la situation n’est pas si grave, c’est pas ici que tu vas faire un régime ! »   me confie en souriant la marchande de petits pâtés au crabe…  Cela aurait pourtant été un moindre mal !

Le deuxième matin est d’une autre tonalité, dès 6 h 30, nous prenons connaissance des évènements de la nuit par le radio-réveil… des émeutes à Pointe-à-Pitre, des barrages un peu partout, des mises à sacs avec incendies de sociétés, propriétés de grandes familles « blancs-pays » et…. un mort, un syndicaliste qui aurait voulu forcer un barrage tenu par de jeunes casseurs, à ce que nous en savons sans certitude. La circulation sur l’île est quasi impossible donc pas de risques inutiles, la plage sera donc notre seul horizon malgré le désir que nous avions de revisiter chaque recoin de cette île sur laquelle nous avons vécu plus de cinq ans, il y a longtemps déjà.

 

Je ne peux m’empêcher de conclure à l’incurie flagrante du gouvernement, comment a t-on pu attendre 13 jours de tourmente pour envoyer un simple secrétaire d’État sans connaissance des réalités locales et sans mandat précis ?  Comment personne n’a  pu « expertiser » la situation antillaise et ne pas prévenir notre président au don d’ubiquité permanent, de l’état de sous-citoyenneté chronique dont souffrent les DOMiens  Au bout de quelques mois de résidence ici, j’avais perçu cette injuste réalité, scandaleuse s’il en est, de notre République « une et indivisible »…!! Pas besoin d’être grand clerc ! La liste est longue et honteuse des renoncements à l’équité, je relisais récemment un texte de Decrès, ministre des colonies du premier consul Bonaparte, chargé de rédiger un rapport sur l’état de la rebellion en Guadeloupe précédant le rétablissement de l’esclavage en 1802 :

«   La liberté est un aliment pour lequel l’estomac des nègres n’est pas préparé. Je crois qu’il faut saisir toutes les occasions pour leur rendre leur nourriture naturelle sauf les assaisonnements que commandent la justice et l’humanité. » (in Joseph Ignace, le premier rebelle de Roland Anduse, éditions Jasor)

 

Je ne commettrais pas de déni de réalité en mettant sur un pied d’égalité les deux époques mais force est de constater et de regretter que la métropole appréhende avec une condescendance certaine et une somme incommensurable de clichés erronés ses territoires « exotiques ».

Qu’associe la quasi totalité de nos concitoyens à l’évocation des Antilles, si ce n’est plages de rêve, cocotiers, ti punch, langueur, carnaval, paradis fiscal et retraite dorée ? La réalité a pour nom Carénage, Boissard, chômage massif, jeunes en mésestime, déracinement obligatoire… et Vaval n’aura peut-être pas plus lieu que la guerre de Troie !

Et pourtant quelle situation idéale pour notre pays que ces territoires à l’orée du continent américain, à un saut de puce du Brésil… Quelle tête de pont inespérée !

Décalage, décalage !!

 

Pour l’heure, José Bové est attendu aujourd’hui, invité qu’il est par le syndicat des producteurs agricoles, je ne vois pas trop en quoi cela désamorcera quoi que ce soit (je n’ose dire au contraire), il ne manquerait plus que Besancenot comme pompier pyromane !

Chacun est suspendu désormais à l’issue des rencontres de demain entre le président, auquel plus personne ici n’accorde crédit, et les élus locaux sérieusement controversés pour leur supposée complaisance à l’égard du pouvoir. Autant dire une gageure !

 

Demain sera donc un autre jour…

 


Christiane Bélotti-Maridat

Le 18 février depuis Le Moule, lieudit L’autre Bord…

 

 

Publié dans Billet d'humeur

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